Ce vendredi de février devait être LE jour parfait pour une randonnée à ski. Tout semblait réuni: la neige fraîche de la veille et le soleil. Ce que je n’avais pas prévu, c’était le travail supplémentaire qui, au dernier moment, m’a scotchée en plaine, à contrecœur. Dans la bouche, un petit goût d’amertume.
Pour calmer ma soif de nature, je décide simplement de remettre mon escapade à plus tard, le soir même. Je motive une amie à m’accompagner. Il faut bien être deux pour trouver le courage d’enfourner ses skis dans le coffre de la voiture plutôt que de prendre le chemin de l’apéro. Nous nous retrouvons à 18 h pour gravir un petit sommet dans le Chablais valaisan.
Le parking est vide, pour une fois. Voilà un premier avantage de décaler, de plein gré ou non, ses horaires de sortie. Clic-clac, nous chaussons nos skis et nous enfonçons dans la nuit. Au fur et à mesure de notre progression, le ciel s’assombrit et les étoiles se dévoilent.
Mes modiques connaissances en astronomie me permettent de reconnaître la constellation d’Orion grâce à ces trois étoiles alignées. A sa droite, les cornes du Taureau. Et à l’équerre de la Grande Casserole, Polaris, l’Etoile du nord.
La lumière est juste suffisante pour nous permettre de nous repérer. Nous décidons ainsi de ne pas allumer notre lampe frontale et de laisser nos yeux embrasser l’obscurité. La vue affaiblie, l’ouïe semble, elle, s’affiner.
En sillonnant en silence sous la voute étoilée, je repense à ces femmes et ces hommes qui, il y a des milliers d’années déjà, ont décodé le ciel pour naviguer sur l’eau ou sur la terre. Chaque peuple a nommé ces alignements selon ses codes et ses interprétations. Les sept étoiles les plus brillantes de la Grande Ourse sont une casserole sous nos latitudes, une balance dans la culture chinoise et sept sages chez les hindous.
En laissant retomber mon regard sur la montagne, j’ai l’impression que ce modeste dôme s’est mué en colosse himalayen. Sa face plâtrée contrastant avec la noirceur de la nuit lui confère l’étoffe d’un haut sommet.
Le vent du nord me sort de mes rêveries. Les 200 derniers mètres sont plus pénibles, dans une pente que la neige soufflée ne cesse de lisser. Sur la crête sommitale, nous bifurquons vers l’est en direction d’une petite cabane. Face à nous, une énorme masse lumineuse se révèle à l’horizon. La lune, majestueuse, nous douche de sa lumière froide.
Nous sommes seules, frigorifiées et affamées. Mais en même temps, tout me semble si parfait sous ce grand bain céleste. Travailler ce jour-là était finalement un mal pour un bien.
Auteur: Sophie Dorsaz aime explorer le vivant sous toutes ses formes à travers ses activités de journaliste, d’enseignante de yoga et d’apprentie accompagnatrice en montagne. Au fil de ses chroniques, elle évoque ses cheminements intérieurs et extérieurs.
Illustrateur: La jeune créatrice visuelle Leonie Jucker de Berne réalise une illustration pour chaque chronique.